Beyrouth dans le monde est une série de douze chroniques publiées dans L’Orient-Le Jour entre février 2022 et mars 2023. Ces douze textes psychogéographiques visent à placer Beyrouth au cœur des problématiques du monde contemporain.
Nous ne sommes pas résilients, nous sommes subsidents
Et si la subsidence, cet irrémédiable mouvement vertical du sol, inégal mais continu, doit un jour passer de la géologie à l’humain pour tenter de dire notre monde, où ailleurs qu’à Beyrouth pourrait-il opérer cette mue ?
Le déchet n’est rien, et c’est ce rien qui s’accumule au point de transformer la géographie du Liban. La côte, la plaine, et deux chaînes de montagnes. Non, trois : celle nouvelle que la corruption est en train de vomir sur ce rivage méditerranéen.
Pare-chocs contre pare-chocs, ennui contre ennui
Le soleil se réfracte sur les pare-brise, il tape sur les habitacles métalliques dans lesquels on se dispute, dans lesquels on évacue les rancœurs chauffées à blanc qui débordent comme le café qu’on n’a pas eu le temps de boire avant de partir.
L’œil jaune du crocodile échoué dans le lit du Magoras, pourra encore longtemps, explorateur malgré lui, continuer de regarder se jouer le désastre écologique du monde alors que les hommes sont occupés ailleurs à se battre pour des chimères.
Le seul moyen de démêler le vrai du faux, c’est de faire bon usage de la plus belle, la plus élégante, la plus complexe, mais aussi la plus fragile de toutes les inventions humaines : l’indépendance de la justice.
Personne n’a vu dans l’effondrement du pont de la rue d’Arménie les prémices des effondrements dont il était annonciateur : de celui des banques à celui des silos du port qui ont consacré la disparition de Beyrouth de la carte des échanges internationaux.
De quoi l’électricité au Liban est-elle le nom ?
Beyrouth exhale ses noires particules fines, fines comme la corruption qui s’immisce dans les corps. La pollution de l’air tue 7 millions de personnes par an : combien d’entre eux sont au Liban, à ajouter à la liste des victimes des mafieux qui le gouvernent ?
Mais qui donc est Georges Haddad ?
Après avoir entendu des phrases en arabe matinées d’amharique, de cingalais, de tagalog, d’arménien, de turc, d’anglais, de français, de toutes ces langues libanaises qui se métissent, ici, tout d’un coup, c’est le silence.
Chaque dollar déposé dans une banque libanaise était en partie dépensé pour financer le mode de vie des Libanais (un consumérisme) et en partie redistribué aux épargnants pour les convaincre d’y déposer toujours plus de devises (une rente).
Ce mur est un mur comme les autres
Et si seule une approche radicale était capable de faire vaciller le système patriarcal et communautaire libanais ? Et si le seul moyen de séparer la religion de l’État était de réclamer une séparation du genre et de l’État ?
Plutôt que de séparer pour mieux gouverner, c’est à diviser pour mieux régner que s’ingénie la classe politique libanaise : une loi détournée, une représentation phagocytée, une presse assassinée, voilà ce que Beyrouth donne à voir au monde.
Je croyais arpenter une rue beyrouthine, mais ce sont tous les échecs du monde et tous les travers des hommes que j’ai parcourus entre ces deux collines : celle formée par leurs déchets et celle où se jouent leurs obscurs désirs de domination.